Laissez-moi cordialement vous prévenir, à l’ouverture de ces prétendues conférences, que je n’ai pas la moindre intention de me poser comme conférencier. Conférencer est sans doute une forme d’enseignement ; et sans doute un enseignant est-il quelqu’un qui sait. Je n’ai jamais su le faire, et je ne le sais toujours pas. Ce qui m’a toujours fasciné n’est pas l’enseignement, mais l’étude ; et je vous assure que si l’acceptation du professorat ne s’était pas rapidement mêlée à l’espoir d’étudier un grand nombre de choses, je serais ailleurs à l’heure qu’il est. Laissez-moi aussi vous assurer que je me sens extrêmement content de me trouver là ; et je souhaite de tout cœur que vous ne serez pas extrêmement déçus.

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J’ai étudié et étudié encore la signification de ces maximes immémoriales : « ce qui est viande pour l’un est poisson pour l’autre » et « on peut mener la jument à l’étang mais on ne peut pas la forcer à boire ». Maintenant, en qualité de non-conférencier, je suis par bonheur confronté à ce tout ancestral dicton, mais bien moins austère : « c’est un vent mauvais qui ne souffle rien de bon ».

 

Pour l’instant un conférencier authentique doit obéir aux règles de la décence mentale, et vêtir ses idiosyncrasies personnelles de généralités acceptables par la collectivité ; un ignare authentique demeurant d’une façon indécente assez libre de parler comme bon lui semble. Cette perspective me plaît beaucoup, car je prise la liberté ; et je n’ai jamais espéré que la liberté soit rien moins qu’indécente ... 

 

Le fait même qu’un intoxiqué burlesque de longue date (…) se retrouve sur le point de tenter un strip-tease esthétique, me frappe comme une manifestation assez remarquable de la justice poétique, et renforce ma conviction que puisque je ne peux vous dire ce que je sais (ou plutôt ce que je ne sais pas), rien ne peut m’empêcher de vous dire qui je suis – ce dont je me réjouis profondément. 

 

 

E.E Cummings

Traduit par Gérard-Georges Lemaire.

L’ennemi 1981