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Des histoires et des anecdotes étonnantes, à propos des liens entre l’humain et l’animal, et quelques commentaires tirés d’une vraie conférence prononcée très récemment avec beaucoup d’humour par Vinciane Despret à l’Université de Liège. 

 

Des histoires pour un spectacle forain présenté dans une inquiétante et improbable boutique : un “stand belge”, avec des centaines de peluches – à gagner ? - en hommage amusé à ce que l’on pourrait aussi énoncer comme une “écologie affective” ...

 

C’est une écologie curieuse et affective, une écologie ou les êtres explorent des devenirs inédits, où ils ne cessent de s’affecter mutuellement, dans une chorégraphie faite de cooptation, d’improvisations risquées et bricolées, de répulsion, d’affinités et de ruptures, d’entremêlements, d’êtres sans cesse en train d’inventer et d’improviser de nouvelles manières de vivre ...

    Devant des rangées de peluches diverses, dont une vingtaine de singes surveillés     par un mâle dominant au centre, et un troupeau de moutons bêlants ... 

L’éthologue :

    L’histoire que je vais vous raconter commence à la fin des années quatre-vingts       lorsque Thelma Rowell, une primatologue confirmée enseignant à l’université de     Berkeley, en Californie, une primatologue qui a commencé à travailler avec les         babouins au début des années soixante et n’a cessé d’observer les singes depuis       lors, s’est posé une simple question : les singes sont-ils vraiment plus intelligents     socialement que les autres animaux ? 

Les singes :

    Yeah ! 

L’éthologue :

    On sait :

    qu’ils se font des amis, 

Les singes :

    Yeah ! Yeah ! Yeah !

L’éthologue :

    qu’ils créent des alliances, 

    qu’ils peuvent manipuler les autres, 

    qu’ils peuvent mentir - ce qui est un signe d’une très grande intelligence sociale -, 

L’assistant :

    Pourquoi ?

L’éthologue :

    que certains peuvent attribuer aux autres des intentions et des croyances - on dit     qu’ils sont mentalistes, (répond à l’assistant) - pourquoi ? 

    parce ...

    qu’ils sont socialement très organisés ...

    qu’ils se réconcilient en cas de conflit, 

    qu’ils utilisent des outils, 

    qu’ils ont des pratiques culturelles, 

Les singes : 

    Yeah ! Yeah ! Yeah ! Yeah ! (hystériques)

L’éthologue :

    certains sont même de compétents pharmacologues capables de connaître               quantité de plantes guérissant des maladies allant du paludisme aux infections         intestinales – j’ai des recettes ... -

    certains, enfin, parmi les chimpanzés, ont inventé des armes - je signale que             cette glorieuse invention est le fait des femelles, 

Le mâle dominant : (grogne, mécontent)

    Greah ! Greah !

Les singes : (moqueuses)

    Yeah !

L’éthologue :

    et les chimpanzés ont bien d’autres talents encore ...

L’assistant : (inquiet, observe les peluches)

L’éthologue :

    Or, dit la primatologue, si on consulte la littérature au sujet des moutons - qui           sont le contre-exemple dans ce domaine - que nous dit-on ? 

Les moutons :

    Bêêêêh ! Bêêêêh ! 

    Bêêêêh ! 

    Bêêêêh ! 

L’assistant : (effaré)

L’éthologue :

    Qu’ils ne se reconnaissent pas individuellement, 

    qu’ils n’établissent pas de liens de longues durées et ne semblent pas marquer de     préférence pour certains congénères - les moutons n’ont pas d’amis !?

Les moutons :

    Bêêêêh ! Bêêêêh ! 

L’éthologue :

    qu’ils sont assez rigidement hiérarchisés, 

    et que leur interactions se limitent à brouter ensemble ... ou, 

    très occasionnellement, c’est à dire pendant la brève période de rut, à se battre         pour les femelles. 

    Les moutons se suivent assez stupidement, et quand le loup, (elle hurle sur               l’assistant pour s’amuser) Ouuuuh ! et quand le loup les attaque ils se jettent tout       aussi stupidement dans les ravins ... (les moutons bêlent et certains se précipitent     dans le vide, l’assistant panique et essaie de reconstituer le troupeau désorganisé)

Les moutons :

    Bêêêêh ! Bêêêêh ! 

    Bêêêêh ! 

    Bêêêêh ! 

L’éthologue :

    Mais dit Thelma Rowell, ne s’agit-il pas là du symptôme de ce qu’on pourrait             appeler un scandale hiérarchique ? 

L’assistant (bégaye) : 

    Bêêêh ... 

L’éthologue :

    Les singes ont des histoires ...

Les singes : 

    Yeah ! Yeah ! Yeah ...

L’assistant (bégaye) : 

    Yeah ... 

L’éthologue :

    des histoires compliquées, ils ne cessent de tisser, d’entretenir et de réparer des         liens, ils ont même une histoire à présent puisque les archéologues leur ont               constitué un passé d’inventeurs d’outils et de pratiques culturelles. Les moutons,       eux, n’ont pas d’histoire ... 

Les moutons :

    Bêêêêh ! Bêêêêh ! 

L’éthologue :

    si ce ne sont les anecdotes peu glorieuses que l’on raconte à leur sujet. Mais si on     réfléchit plus avant, que voit-on ? Qu’on a posé aux singes des questions                   intelligentes, en se fondant sur le fait que comme ils sont nos plus proches               cousins, il était évident que nous pouvions les leur poser. 

L’assistant (regarde hébété les singes) :

L’éthologue :

    Et comme ces singes répondaient avec succès à ces questions, on leur a posé           d’autres questions plus compliquées encore. C’est ce qu’on appelle un cercle             vertueux. Et qu’a-t-on demandé aux moutons ? Pour le dire simplement :                   comment ils convertissent l’herbe en gigots ...

Les moutons :

    Bêêêêh ! Bêêêêh ! 

    Bêêêêh ! 

    Bêêêêh ! (les moutons paniquent et se précipitent de nouveau dans le vide, l’assistant jongle en récupérant les moutons, etc, essayant d’attirer l’attention de l’éthologue, sans succès)

L’éthologue :

    Bien sûr, quelques scientifiques leur ont posé d’autres questions, sur                           l’attachement, sur les possibilités qu’ils se reconnaissent, mais rien                             d’encourageant n’était issu de ces recherches, on a donc continué à leur donner       de l’herbe et à leur demander comment ils mangent, ce qu’ils préfèrent manger,       etc ...

    Alors, Thelma Rowell a donc décidé que si nous voulions comparer les singes aux     moutons, la première chose à faire, c’était de poser aux moutons les mêmes               questions qu’aux chimpanzés, mais surtout, et vous verrez que cela importe, en       réunissant les conditions qui permettraient aux moutons de vraiment être en             mesure de répondre à ces questions. Et c’est ce qu’elle a fait depuis lors. Sa                 retraite est intervenue entretemps, elle ne doit donc plus enseigner, mais comme     cela arrive à de nombreux chercheurs, la retraite n’a pas réellement modifié sa           vie, elle continue ses recherches, et s’est installée dans une région du Nord de           l’Angleterre ... avec un troupeau de moutons.

    (...)

    Tout ceci est finalement très cohérent avec le projet de la chercheuse : il                     s’agissait de donner une chance aux moutons. Et cette chance demande de               l’attention et du tact, la création d’un bon milieu qui permette aux moutons de         montrer de quoi ils sont capables. 

L’assistant (halluciné) : 

    Capables ? Capables de quoi ? ... 

L’éthologue :

    Ah Ah ! Vous allez voir ...

Les animaux ont-ils de l'imagination ?

Les animaux ont-ils des sensations, des sentiments, des pressentiments, des émotions ?

Des histoires

Extrait scénique

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